Tous les articles par AdminEva

La manière la plus honnête de signaler les problèmes du système théâtral est d’en faire théâtre justement

Beatrice Lăpădat – LinterNet.ro – 2 septembre 2019

Le metteur en scène Eugen Jebeleanu collabore notamment avec le Théâtre National « Radu Stanca » de Sibiu, le Schauspiel Stuttgart, le Festival Actoral, le Festival Temps d’Images de Cluj, Théâtre Ouvert et le festival Chantiers d’Europe du Théâtre de la Ville de Paris. Ses créations sont invitées dans de nombreux festivals en Roumanie, en France, en Pologne, au Danemark, en Allemagne et en Moldavie. En 2019, il réalise à Bucarest son premier long-métrage (Icon Production), lauréat de l’aide à la production du CNC (Centre National de la Cinématographie) en Roumanie. Yann Verburgh répond à des commandes d’écriture notamment pour les CDN de Valence, Caen et Béthune. Ses pièces sont publiées chez Quartett Éditions et aux Solitaires Intempestifs, mises en lecture à la Comédie Française, mises en ondes sur France Culture, adaptées en opéra, traduites et jouées en plusieurs langues. En 2019, il intègre l’Atelier scénario de La Fémis – École nationale supérieure des métiers de l’image et du son – où il développe l’écriture de son premier scénario de long-métrage. Ensemble, ils créent, en France en 2015, la Compagnie des Ogres, animés par le désir commun de créer un projet artistique européen et de développer un dialogue entre les territoires. Itinéraires. Un jour le monde changera est la troisième création de la Cie des Ogres et questionne la construction identitaire au sein d’un territoire en pleine mutation et les mécanismes de combat entre l’individu et la collectivité, dans un jeu perpétuel et ludique de mise en abîme théâtrale, qui explore nos frontières intimes à l’aune de celles qui dessinent l’Europe du XXIe siècle. Nous avons invité Yann Verburgh et Eugen Jebeleanu à répondre pour LiterNet à une série de questions sur le processus de création et sur la réception du spectacle Itinéraires, produit en 2019 à ARCUB (Bucarest) et dont les prochaines représentations auront lieu le 15 septembre 2019 au Théâtre « Maria Filotti » de Braila dans le cadre du Festival Jours et nuits de théâtre, XIIIe édition, et à la fin du mois d’octobre à ARCUB, au Festival National de Théâtre de Bucarest. En France, le spectacle sera joué à plusieurs reprises en 2020, soit le 14 janvier à la Maison de la Culture Amiens au Festival Amiens Europe, spectacle co-programmé avec Le Phénix de Valenciennes, le 13 mars au Gallia de Saintes et le 17 mars au Théâtre de Choisy-le-Roi.

Nous avons été intéressés par les histoires qui se répondent, par les liens à faire entre les cultures et les parcours de vie des acteurs 

Beatrice Lãpãdat : Quel a été le tout premier point de départ d’ItinérairesQu’est-ce qui a fait surgir en vous le désir d’aborder des thématiques situées autour de l’identité et de l’être-ensemble dans l’Europe d’aujourd’hui? 
Eugen Jebeleanu:  L’idée de ce projet m’est arrivée pour la première fois après avoir assisté au spectacle Saigon, mis en scène par Caroline Guiela Nguyen au Festival d’Avignon en 2017, un manifeste poétique et politique autour de la guerre du Viêt Nam. J’ai parlé avec Yann après le spectacle et nous avons décidé ensemble des premiers points d’intérêt à l’égard d’Itinéraires. Nous étions intéressés par le fait de parler de gens qui quittent leurs terres natales soit forcés par les circonstances, soit par leur propre volonté et qui reviennent chez eux en ressentant un changement intérieur, puisque ce sont des gens qui n’ont pas le sentiment d’appartenir à un territoire ou un autre. Des gens qui, lorsqu’ils sont de retour chez eux, subissent un certain sentiment d’échec à cause du fait qu’ils n’ont pas réussi à l’étranger ; l’histoire de mon père, qui est parti de Roumanie après ’89, a été une de mes sources d’inspiration. Un autre aspect important que nous avons pris en considération était la mise en valeur des deux langues, le roumain et le français. Le chemin que nous avons parcouru pour arriver au produit final d’aujourd’hui a été long. L’identité constitue un thème que l’on retrouve au cœur de tous mes spectacles, car je cherche à explorer les vulnérabilités et les révoltes des gens et les montrer sur scène, puisque c’est là que l’on peut voir l’effet que le politique exerce sur la vie intime des gens. La dimension politique de ce que tu appelles « l’être-ensemble dans l’Europe d’aujourd’hui » est une préoccupation que l’on retrouve dans un grand nombre des textes de Yann et son penchant pour le « théâtre citoyen » se distingue facilement dans sa démarche. Toutefois, nous ne nous attendions pas à ce que le spectacle devienne un objet si intime et complexe. 
Yann Verburgh : Dans le binôme que nous formons avec Eugen, la question de l’Europe s’est d’emblée posée entre un metteur en scène roumain et un auteur français. Dans ce voyage perpétuel entre « Est » et « Ouest », l’identité est au cœur de nos préoccupations et de nos créations précédentes : discriminations et violences faites aux minorités sexuelles (Ogres, Quartett Éditions, production Cie des Ogres, 2017), rôle des « images » dans la construction identitaire chez l’adolescent (Alice, production Théâtre Gong de Sibiu, Roumanie, 2015 ; Digital Natives, Ed. Les Solitaires Intempestifs, production Comédie de Valence-CDN, 2018). 

Les thématiques sont venues du contexte dans lequel nous vivons et travaillons, Eugen et moi, d’un bout à l’autre de l’Europe. Ce qui m’a intéressé du point de vue de l’écriture et plus particulièrement au sein des monologues, c’est la place de l’interprète sur scène. Le théâtre contemporain est un miroir de notre époque et la place « donnée » sur scène aux acteurs, en fonction de leur genre ou de leurs origines, est le reflet de la place qu’ils occupent en tant que citoyens dans la société. C’est ce point de rencontre que j’ai tenu à creuser. Le sexisme que les actrices rencontrent dans leur travail se fait aisément l’écho de la place que les femmes occupent dans la société. Le racisme latent de notre « vieux continent », son héritage patriarcal trouvent leur prolongement dans les modes de représentation que nous retrouvons aussi sur nos scènes. En partant ainsi de l’intime de chacun des artistes, de leurs expériences, nous avons trouvé un chemin sensible et universel pour parler plus largement des problématiques auxquelles nous sommes aux prises dans cette Europe d’aujourd’hui. 

B.L. :En regardant le spectacle, on se rend vite compte que le texte dramatique consiste en une « écriture ouverte », adaptée au contexte concret de la mise en scène et complétée par les performeurs mêmes. Comment s’est déroulé la mise en forme du texte tout au long de la constitution du spectacle?
E.J. : Yann peut répondre mieux que moi. Je peux juste dire que ce n’était pas une commande d’écriture ni une commande de mise en scène sur un texte, mais plutôt un dialogue fluide entre l’écriture du texte et l’écriture de la mise en scène au plateau, sans que l’un ou l’autre veuille gagner le premier rôle.
Y.V. : Je suis heureux si l’écriture du texte paraît ouverte, elle l’a été en quelque sorte tout au long du processus, sans pour autant devenir « une auberge espagnole ». Étant également le dramaturge du spectacle – au sens allemand du terme, c’est à dire en accompagnant Eugen dans l’écriture de sa mise en scène – je me suis attaché non pas à écrire un texte dramatique pur, mais à écrire un spectacle où le texte se met au service des idées du metteur en scène et de ses interprètes et reste en dialogue constant avec eux. Tout au long des cinq semaines de répétitions, le texte a connu un aller-retour permanent avec le plateau. Je n’ai jamais tant écrit pour un spectacle – environ 140 pages, je crois – pour en arriver aux soixante qui constituent le texte final. Il s’agit donc ici bel et bien d’une écriture de plateau. 

Nous avons en premier lieu, avec Eugen, choisi les acteurs ensemble. J’avais besoin d’interprètes qui m’inspirent pour écrire, cela me facilite grandement la tâche. Le travail de la première semaine de répétition à Bucarest, à l’automne 2018, est parti d’un questionnaire que j’ai donné en amont aux acteurs, d’une dizaine de questions auxquelles ils devaient répondre brièvement en quelques lignes. On retrouve des bribes de leurs réponses tout au long du spectacle. Les questions étaient, par exemple : Quel rôle tu rêves de jouer? Pourquoi tu montes sur scène? Que signifie l’Union Européenne pour toi? Quelles sont tes frontières? À partir de ce questionnaire, Eugen a dirigé une trentaine de scènes improvisées. La scène de petit déjeuner d’enfance de Radouan [Leflahi] ou celle des Trois Soeurs, par exemple, sont nées de ce processus.

crédit photo : Jean-Louis Fernandez

En me basant sur les improvisations que nous avons décidé de garder pour le spectacle, j’ai écrit la moitié du texte et le prologue, qui est une fable climatique dépeignant le départ de la Famille Manchot du Pays-des-Glaces. Cette entrée en matière me permettait de planter un contexte global aux scènes suivantes et de faire un pas de côté pour créer une métaphore des mouvements migratoires intra-européens qui touchent particulièrement la Roumanie. Quelques mois plus tard, au printemps 2019, les répétitions ont repris en France, à la Chartreuse [n.r. : La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon – Centre national des écritures du spectacle], avec ce début de texte qui a beaucoup évolué au plateau et qui a ouvert de nouvelles perspectives au spectacle. Le monologue d’Ilinca, par exemple, était déjà écrit, mais nous ne nous connaissions que peu alors, Ilinca et moi; il y avait beaucoup d’éléments que j’ai déduits ou devinés de son parcours d’actrice, mais cela me laissait aussi la liberté et la place de projeter ma propre vision de l’Europe, de la Roumanie et de ce que c’est qu’être un « acteur de répertoire ». Ce monologue a plu à Eugen et il m’a demandé d’en écrire un pour chacun des interprètes. 

Eugen et moi avons alors proposé aux acteurs la possibilité d’écrire de courts textes auto-fictifs pour y puiser là matière à créer de nouvelles scènes qui feraient émerger ces monologues. Certains des acteurs s’y sont essayés puis y ont renoncé, d’autres n’y sont pas parvenus. Il est plus confortable d’avoir quelqu’un qui écrit pour soi. C’est déjà un engagement important de parler de soi sur scène et trouver les mots justes pour le faire peut être un peu effrayant. Puis, quand on a un auteur sous la main avec lequel un lien de confiance mutuelle se construit, il est plus simple de faire appel à lui. J’ai interviewé alors chacun d’eux une quarantaine de minutes et à partir de ces courts entretiens, j’ai écrit leur monologue. Claire [Puygrenier], en revanche, est venue un matin en répétition avec quelques lignes sur son enfance à la campagne qui ont touché toute l’équipe et que j’ai intégrées à l’un de ses monologues.

Nous avons ensuite choisi avec Eugen les scènes de répertoire qui ponctuent le spectacle : Shakespeare, Marivaux, Strindberg, Tcheckhov, Sebastian… en lien direct avec les histoires des interprètes pour prolonger la mise en abîme de manière pertinente. L’épilogue qui poursuit la fable de la Famille Manchot a été écrit en dernier ; j’ai essayé, par le biais de l’univers du conte, de réunir les histoires et les aspirations de chacun des acteurs pour clore les itinéraires de ce voyage.

À l’issue de ce processus d’écriture, j’ai fait le choix de partager mes droits d’auteur sur ce texte avec les acteurs et Eugen. Il était important pour moi, tant d’un point de vue éthique qu’artistique, de valoriser ainsi leur apport essentiel à cette écriture. Ce texte n’existerait pas sans eux et je ne pense pas qu’il puisse exister en dehors d’eux, il ne pourrait pas être joué par d’autres acteurs. C’est du sur mesure.

B.L. :La méthode d’écriture scénique que vous venez de décrire, bien qu’elle s’avère être productive, comporte sans doute un nombre de défis. Comment négociez-vous, en tant que créateurs et concepteurs du spectacle, la distance entre ce que vous envisagiez dans une première phase et ce que les performeurs vous livrent – matériel qui n’est peut-être pas toujours en accord avec votre vision?
E.J. : Même si nous sommes en quelque sorte les créateurs et concepteurs du spectacle, il faut bien dire que, sans les acteurs au plateau, ce projet serait un concept sans fond, donc je ne me sens pas à un endroit de négociation, mais de dialogue, de partage entre leurs connaissances et les miennes. Je ne suis pas un metteur en scène qui vient avec son spectacle dans le sac à dos et le livre aux acteurs, j’adore me laisser perdre dans la nébuleuse du non-savoir au fil des répétitions et laisser la place à l’inspiration, à la nécessité d’un moment et aux émotions qui débordent, là où le théâtre devient autre chose qu’une série de représentations. Ma vision donc n’est que le reflet de ce que cette équipe m’a renvoyé.
Y.V. : Il était fondamental pour chacun des membres de l’équipe d’être en accord avec ce que l’on apportait et défendait sur scène, puisque ce spectacle est extrêmement personnel. Il nous appartient à tous. Il fallait donc que tout le monde soit dans une zone de confort pour pouvoir se concentrer sur ce qu’il avait à faire et bien faire son métier : jouer, écrire, mettre en scène, composer, créer la scénographie. Nous n’avons jamais perdu de vue au cours du travail que nous étions en train de créer un spectacle professionnel qui s’adresse à un public. Eugen demandait aux acteurs leur avis sur telle ou telle partie du spectacle, tel ou tel texte. En ce qui concerne l’écriture, je demandais aux acteurs s’ils étaient d’accord et prêts à livrer telle ou telle chose de leur intimité, à le dire avec tels ou tels mots. Nous n’avons pas rencontré de problèmes de désaccord de vision. Et tous les acteurs ont fait preuve d’un grand professionnalisme et d’une immense bienveillance les uns vis-à-vis des autres. Il y a souvent eu des larmes d’émotion en découvrant les textes. Ce furent des moments forts et fédérateurs pour l’ensemble de l’équipe. L’émotion est devenue le ciment qui nous a tous liés dans ce projet. 
Nous sommes extrêmement malléables dans le travail, Eugen et moi, et nous avons besoin de nous entourer d’une équipe qui le soit tout autant. Cela nous épargne peut-être les conflits et les écarts entre attentes et résultats. Nous avons pour habitude de créer en direct, nous ne préparons pas les spectacles à la maison, nous évitons les préconceptions, les idées ou les concepts pré-fabriqués, nous travaillons avec l’instant présent au fil des répétions, le jour-même. Et les idées, les envies, les scènes peuvent vraiment changer d’un jour à l’autre, pendant la période de conception. 
Ces moments de découverte en répétition sont mes préférés, car ils sont magiques, on ne peut pas s’expliquer toujours rationnellement d’où ils viennent, ce sont des petits cadeaux offerts par la somme des énergies de chacun mises en présence. Ce sont des cadeaux qui peuvent apparaître jusqu’au dernier jour des répétitions et il est beau de les laisser advenir et exister. À mon sens, c’est là où naît le théâtre, dans ces brefs moments, furtifs comme des apparitions. Les acteurs cherchent à les recréer au fil des représentations, mais je me sens chanceux de les avoir vu naître dans leur fraîcheur et leur fragilité, comme l’éclosion d’une fleur. Ils m’inspirent profondément et me laissent rêver à d’autre projets, m’ouvrent à d’autres possibles, me font entrevoir de nouvelles histoires, de futurs spectacles.


crédit photo : Jean-Louis Fernandez

B.L. :Lorsqu’il est question d’un projet dramaturgique aussi interactif et flexible que le vôtre au niveau de la relation entre auteur, metteur en scène et performeurs, quels sont les principes de base à respecter afin qu’il y ait suffisamment de liberté de création pour tous ceux impliqués, sans compromettre pour autant les éléments qui assurent la stabilité du travail en équipe?
Y.V. : Avant tout, il s’agit encore une fois de réunir une équipe solide et professionnelle, prête à aborder ainsi de tels sujets et à se « mouiller » et qui ne perd jamais de vue que nous faisons du théâtre, que le but est de créer un spectacle, c’est à dire un objet artistique – si politique, engagé ou interactif soit-il. Pour assurer la stabilité du travail, il est essentiel de créer une écoute et un dialogue constant et constructif entre tous les membres de l’équipe, de la scénographie à la lumière, de la musique à la vidéo, du jeu à la mise en scène et à la dramaturgie.

B.L. :La distribution met en lumière une équipe non seulement multi-ethnique, mais qui souligne aussi la variété des approches performatives mises en action. Quelles sont les difficultés, ainsi que les satisfactions qui découlent de cette diversité? 
E.J. : L’avantage de cette équipe est que nous avons premièrement cherché de très bons acteurs et nous les avons trouvés. J’aime quand le théâtre parle de la société, mais je préfère encore plus quand il est porté par des performeurs exigeants, forts et rayonnants. Nous avons plutôt travaillé sur les points communs de chacun et non pas sur leurs différences; nous avons été intéressés par les histoires qui se répondent, par les liens à faire entre les cultures et les parcours de vie, entre les engagements et les révoltes des uns et des autres et par l’impact d’un territoire commun – l’Europe donc – sur la construction de leur identité. J’aurais travaillé avec Radouan, par exemple, même s’il était hongrois ou allemand. L’important était l’engagement et le désir d’être au plateau ; chose que j’aime dans cette équipe – ils ont l’air d’avoir envie d’être sur scène et ça, c’est un cadeau pour le metteur en scène et pour le public. J’ai misé sur une approche où les acteurs sont mis en danger, j’ai laissé de côté le réalisme psychologique pour faire place à l’instant présent. Pour cela, par exemple, je leur ai proposé de ne pas préparer les intentions avant de dire le texte et donc de ne pas devancer le texte, mais de faire le travail inverse, dire et penser en même temps que les mots viennent et voir ce qu’il se passe ensuite dans leur esprit et leur corps. Pour les monologues, j’ai tenu à ce que les acteurs soient dignes, sans apitoiement et sans vomir les malheurs. Nous n’avons pas eu de temps à perdre avec des difficultés, vu que nous avons travaillé dans un temps très restreint. Une de mes satisfactions, par exemple, est quand je vois la scène de repas, alors que Clémence dit son monologue, et là, dans cet espace-temps, toutes les histoires se croisent, se font échos et ils deviennent tous des enfants à la quête d’un père absent. Il faut dire aussi que cette scène, comme le spectacle entier, n’aurait pas fonctionné de la même façon sans l’apport créatif énorme de Velica Panduru, la scénographe du spectacle, et de Rémi Billardon, son compositeur; tous deux sont de très fins dramaturges de l’esthétique et de l’univers du spectacle.

B.L. : Il y a cinq langues (français, roumain, berbère, allemand, anglais) que l’on peut entendre dans le spectacle. Y a-t-il des facteurs qui changent ou influencent le processus de création quand on a affaire à plusieurs langues dans un même spectacle? 
Y.V. : Le choix des langues a été un grand champ de réflexion et de travail pour que leur emploi soit justifié du point de vue de la dramaturgie et qu’elles apparaissent de manière fluide dans le spectacle. Je pense que cela a beaucoup influencé le processus de création et l’a enrichi en lui apportant autant de sens que de poésie. 
E.J. : Cela change l’écoute des spectateurs, je crois. Ils deviennent plus attentifs et cela leur permet de sortir de leur quotidien, cela permet aussi de dire que la langue n’est pas une étiquette ou bien un critère d’identification, mais juste un moyen de passer des histoires. Il était important d’avoir toutes ces langues au plateau pour raconter l’Europe d’aujourd’hui, c’était notre façon de parler des frontières.

crédit photo : Jean-Louis Fernandez

En nous offrant leur fragilité avec une authenticité désarmante, peut-être que les acteurs nous aident à accepter la nôtre

B.L. : À l’heure actuelle, la scène européenne ne manque guère de spectacles qui visent l’identité, l’immigration, l’altérité et tout ce qui est lié aux changements sociaux radicaux auxquels l’on assiste aujourd’hui. Pourquoi « un autre spectacle » autour du climat culturel et social qui caractérise l’Europe à présent? 
E.J. : Ce n’est pas, par exemple, parce qu’on a fait un film sur les homosexuels et qui a gagné un Oscar, qu’il faut arrêter de parler de cette minorité ; puis, en Roumanie, le nombre de spectacles sur l’identité, l’immigration, l’altérité et tout ce qui est lié aux changements sociaux radicaux auxquels l’on assiste aujourd’hui est quasiment nul. On a besoin de beaucoup plus de projets de théâtre comme de cinéma qui parlent des problématiques actuelles, jusqu’à la saturation, s’il le faut, ou au moins autant qu’on a monté Caragiale en Roumanie, juste pour apporter une « nouvelle » vision esthétique sur le texte.
Y.V. : Si on prend les chiffres, en France notamment, les écritures contemporaines ne représentent que 10% des productions du théâtre public. À mon sens, on manque sérieusement de ce genre de spectacle. On est plutôt dans la carence que dans le « encore un autre spectacle sur… ». L’art contemporain est là pour nous aider à nous raconter et à nous définir, nous-mêmes et notre époque, c’est un geste essentiel, urgent, engagé, nécessaire, un outil pour mieux se comprendre soi-même et le monde dans lequel nous vivons. Et même s’il nous paraît que « Tout a été dit, comme personne n’écoute, il faut toujours répéter » (André Gide). Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que nous travaillons dans le théâtre public, financé par de l’argent public donc, et il est de la responsabilité éthique des artistes y œuvrant et des politiques culturelles mises en place par les gouvernements d’aborder ces sujets urgents et essentiels en leur offrant les moyens d’une liberté d’expression accueillante et citoyenne, qui est le garant d’une démocratie en bonne santé, dans la mesure où elle autorise son auto-critique. 

B.L. : Avez-vous conçu Itinéraires en pensant à un certain public-cible?
Y.V. : Nous avons créé Itinéraires sachant que nous allions jouer et en France et en Roumanie; il était donc important de créer un spectacle qui supporte ce voyage et dont les messages ne se perdent pas en passant d’un territoire à l’autre. Nous avons donc pensé autant au public roumain qu’au public français, dans le désir de créer un spectacle qui soit le plus accessible possible et qui s’ouvre à un public large, sans chercher à le « nicher ».
E.J. : Je pense tout le temps quand je crée un spectacle que ma mère est dans la salle est c’est le seul repère sensible pour moi, car je pense pouvoir, par le biais du théâtre, arriver à lui dire des choses que je ne pourrais pas lui dire autrement. Quand je pense au public en général, je pense que, s’il a décidé de venir voir un spectacle, il est intrigué par quelque chose, que cela soit dans le titre du spectacle ou le générique de l’équipe ou le visuel de l’affiche. Et donc, dans notre cas, le public se pose des questions sur le monde et ne vient pas pour se divertir en mangeant du popcorn. Je me méfie d’un public de « théâtreux », car ce n’est pas le public qui reçoit un spectacle de la même façon qu’un spectateur qui n’a rien à voir avec le théâtre, je me méfie donc plutôt d’un public qui vient analyser un spectacle comme au zoo pour se réconforter de son propre bagage culturel.

B.L. :Avez-vous saisi jusqu’ici des différences de réception entre la Roumanie et la France? Si oui, en quoi consistent-elles?
Y.V. : Je n’aime pas particulièrement comparer les réceptions d’un public à l’autre, car c’est une manière de dresser des frontières à l’endroit précis où nous cherchons à les abolir. Cependant, j’ai pu constater que le public roumain a eu une réception extrêmement chaleureuse et enthousiaste, il s’est montré très ouvert aux histoires des acteurs français et les a accueillies avec beaucoup d’empathie. En France, en revanche, certains contenus politiques visant directement des politiques culturelles françaises, sur le concept de « diversité » ou le passé post-colonial de la France, a connu une réception plus délicate, créant une forme de malaise chez un certain « public institutionnel », mais créant aussi l’adhésion unanime de la jeunesse, ce qui donne un certain espoir de voir, un jour, le monde changer. Je crois que la France a toujours eu du mal à se regarder en face, mais le public français, ayant un goût prononcé pour « l’exotisme » – passé post-colonial oblige – goût dont nous nous moquons gentiment au début du spectacle, a été très touché par les histoires portées par les interprètes roumains et leurs grandes qualités d’acteur.
E.J. : Il y a comme deux spectacles à cause de la langue. Les spectateurs français sont plus attentifs au plateau qu’aux surtitres quand les acteurs parlent français et inversement pour les spectateurs roumains. J’ai fait cet exercice de regarder dans ces deux sens et le spectacle est différent. En Roumanie, le spectacle est urgent et fort émotionnellement, car il répond à ce besoin d’hurler les colères, alors qu’en France le spectacle est perçu comme un travail formel très réussi et comme un manifeste ludique et lucide sur l’Europe, de façon plus cérébrale peut-être, et en même temps percutant dans son engagement politique, jusqu’à déranger quelques spectateurs dans leur orgueil. Mais je ne veux pas partager le public, c’est aussi une question de représentation et d’énergie d’une soirée à l’autre.

B.L. :Une partie signifiante du spectacle tourne autour de la dénonciation des problèmes internes plutôt graves – parfois même liés à des abus atroces – qui caractérisent le système théâtral. Et pourtant, tout créateur de théâtre fait partie de ce système et doit s’y intégrer afin d’exercer son métier. Quel est, selon vous, la manière la plus honnête de signaler ces problèmes sans ignorer sa propre appartenance au système que l’on vise?
E.J. : Il faut dénoncer les injustices et les abus dans le cadre du travail, au théâtre comme dans n’importe quel autre milieu professionnel pour que nous évoluions, pour que les femmes ne soient plus agressées, pour que le machisme se dissipe et pour que le système de valeurs change, qu’il se fonde sur de vrais sujets de débat. Il faut dénoncer un premier ministre qui raconte des conneries, mais les blagues sur sa coiffure ou ses robes me laissent perplexe. Le compromis est aussi un sujet à débattre dans le milieu théâtral en Roumanie. Il faut lutter pour ses droits, pour ses opinions. Je crois que la manière la plus honnête de signaler ces problèmes au théâtre est justement de ne pas ignorer le système et d’avoir la force de dérision et d’autodérision afin de pouvoir critiquer – si le projet le demande – même la structure qui produit le spectacle. Il ne faut pas tomber dans la censure, sinon ces trente années depuis la révolution seront passées inutilement.
Y.V. : La manière la plus honnête de signaler ces problèmes sans ignorer sa propre appartenance au système que l’on vise est, à mon sens, d’en faire théâtre justement. C’est-à-dire, d’utiliser les outils du théâtre pour rendre public et amener le débat sur ces problématiques dans l’espoir de les voir évoluer. Il ne faut surtout pas les taire ou en faire des compromis, ce serait se mentir à soi-même. Tout en sachant que l’on ne peut pas dénoncer un système en le reproduisant, il a été question avec Itinéraires d’inventer des protocoles de création qui nous préservent des maux que nous dénonçons.

crédit photo : Jean-Louis Fernandez

B.L. :Le personnage incarné par Ilinca Manolache parle du processus graduel au cours duquel elle a perdu sa foi en le pouvoir du théâtre de changer le monde. Toutefois, j’imagine que personne ne serait capable de démarrer un projet théâtral ou de monter sur scène sans garder dans son cœur un tout petit espoir que sa présence et son implication vont déclencher une prise de conscience chez les spectateurs. Comment décririez-vous l’espoir que vous entretenez par rapport à la possible influence qu’Itinéraires pourrait exercer sur le public? 
E.J. : Évidemment que l’on pense qu’un spectacle est une prise de conscience, sinon on ferait autre chose, mais je suis contre un théâtre manipulateur d’émotions qui essaye de penser pour moi, de pleurer pour moi, de rire pour moi, le spectateur. En tant que spectateur d’Itinéraires, je me retrouve parfois comme une fourmi dans ce monde; cela veut dire que je prends conscience de la situation du monde d’aujourd’hui et alors moi, mon travail et le théâtre me paraissent une chose toute petite et paradoxalement ce que je vois sur scène a une force incroyable. Je peux vous avouer que, depuis les répétitions où Ioana Bodale, la vidéaste du spectacle, nous a montré les images avec les élevages de vaches et l’atrocité de leur abattage, je ne peux plus manger de bœuf. Ce n’est qu’une petite prise de conscience. 
Y.V. : L’espoir réside dans l’acceptation de soi et des autres. Itinéraires est un spectacle où les interprètes se mettent à nu, au sens propre comme au figuré, pour nous livrer une partie de leur identité. Le métier d’acteur est un des métiers les plus difficiles qui soient, on y travaille avec soi, son corps, son histoire, sa voix, ses pensées, ses émotions comme uniques instruments. En se mettant à nu devant nous, en nous offrant leur fragilité avec une authenticité désarmante, peut-être nous aident-ils à accepter la nôtre. Et en acceptant notre propre fragilité, nous acceptons aussi celle des autres. En créant l’empathie avec leurs histoires, leurs obstacles, leurs frontières intimes, leurs origines, leurs drames, leur résilience, leurs combats, peut-être parviennent-ils à ouvrir la perception du public sur lui-même et sur l’autre, à créer davantage de compréhension et de bienveillance vis-à-vis d’autrui, vis-à-vis de tout ce qui n’est pas « nous ».

B.L. :J’ai beaucoup réfléchi au choix du temps verbal, soit le futur simple de l’indicatif, que l’on repère dans le titre du spectacle –Itinéraires. Un jour le monde changeraJe me suis demandé s’il était encore possible de trouver le juste milieu entre la conscience d’un avenir incertain et plutôt glauque et la conscience constructive de notre capacité d’agir ici et maintenant. Comment le travail surItinérairesa-t-il changé votre perspective sur cet avenir-là?
Y.V. : Le travail sur Itinéraires m’a persuadé que la seule réponse possible est de continuer de créer, coûte que coûte. Quoi faire d’autre ? Continuer de créer même face à la vision du désastre, répondre par le théâtre, par l’empathie, par la pensée et la beauté à cet avenir incertain. Écrire des utopies, tracer des itinéraires, tenter de déjouer les prophéties, se faire le témoin actif de notre époque, l’acteur de nos sociétés : une manière comme une autre de résister, d’exister, c’est celle que nous avons choisie avec la Cie des Ogres. C’est notre itinéraire.  
E.J. : J’étais avec Yann à une terrasse à Bucarest lorsque nous étions en plein processus de sélection des acteurs roumains pour le projet quand nous avons entendu quelqu’un dire cette réplique: « Un jour le monde changera, mais pas dans notre vie. » Il s’agissait d’un monsieur un peu plus âgé, un intellectuel, je pense, et il parlait français avec ceux qui l’accompagnaient à la table. Nous avons été très frappés par ce « mais pas dans notre vie » et cela nous a déterminés à y réfléchir. Nous avons choisi de garder seulement la première partie de cette réplique, en espérant que peut-être au moins les jeunes générations pourront profiter d’une époque où les choses se dérouleront d’une manière différente. Grâce aux Itinéraires, je me suis rendu compte que tout n’est pas perdu; toutefois, je n’ai pas vécu cette révélation pendant les répétitions, mais bien après le spectacle, lors des applaudissements, en apercevant les réactions des gens après chaque représentation. Cet aspect est très encourageant – le fait que nous ne soyons pas seuls et que cet espace qui est le théâtre ait toujours la force de faire les gens se rassembler et la force de former, d’éduquer, de cultiver les esprits. Toutefois, pour atteindre ce but, il est nécessaire que les politiques culturelles et gouvernementales fassent leur devoir et soutiennent l’éducation et la culture, surtout dans un pays comme la Roumanie, qui traverse une période particulièrement difficile. Je tiens donc à clore cet entretien en disant que nous avons besoin de financements solides de la part de l’état pour achever ce genre de projets; il faut que les acteurs soient payés à temps et de manière juste; il faut que les institutions, en commençant par les individus qui se trouvent à leurs têtes, soit responsabilisées et luttent pour les droits des artistes. Il est temps d’agir dès maintenant pour changer ce monde. Il est temps de relever la tête.

Source : https://atelier.liternet.ro/articol/20907/Beatrice-Lapadat-Eugen-Jebeleanu-Yann-Verburgh/La-maniere-la-plus-honnete-de-signaler-les-problemes-du-systeme-theatral-est-den-faire-theatre-justement.html?fbclid=IwAR1ASncrnXaZdDe1r_lupRdxAPePi5ALZmY9OGtV1Y4-0mluFCPXsnDzHJA

Rouen : une pièce traite de l’homophobie dans le monde en partant de la Normandie

Véronique Baud – Paris Normandie – 18 mai 2018
Ogres – La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon – janvier 2017
Théâtre. « Ogres » est une pièce qui traite de l’homophobie à travers le monde. Son auteur a recensé 300 cas et s’est appuyé en fil rouge sur l’histoire d’un jeune instituteur torturé en forêt des Essarts près de Rouen.
 

Parce que les homosexuels risquent la pendaison en Iran, parce qu’au Brésil malgré le mariage pour tous les assassinats se multiplient, parce qu’en Russie les assistantes sociales n’ont pas le droit d’évoquer le sujet avec des jeunes désemparés, parce qu’en France dans les cours de récré ou les stades de foot « PD » est une insulte couramment utilisée, la pièce de théâtre « Ogres » s’empare d’un sujet encore brûlant un peu partout sur la planète. Celui d’une identité sexuelle rejetée voire criminalisée.

« Ogres » écrite par Yann Verburgh à la suite des manifestations contre le mariage pour tous a pris pour fil rouge l’abominable et tragique histoire d’un jeune instituteur (Benjamin dans la pièce) torturé et laissé pour mort il y a une dizaine d’années en forêt des Essarts près de Rouen. Ce fait divers sordide, l’auteur l’a choisi « parmi 300 cas recensés partout dans le monde. À partir de ces faits j’ai glissé vers la fiction. Ce qui m’a intéressé, c’est la vie après l’agression, la résilience possible. Dans mon texte, on voit que le chemin de l’engagement permet de sortir du repli et de la honte, à travers l’amitié qui va naître avec un militant LGBT ».

Trente personnages

Dans ce panorama sombre qui parcourt 14 pays, l’auteur cherche des raisons d’espérer. «Il y a ce lycéen de Sotchi qui résiste et se filme sur Youtube alors qu’explose le taux de suicide chez les jeunes homos en Russie. Il y a ce couple iranien qui va être pendu mais dont je raconte l’histoire à l’envers jusqu’à leur première rencontre pour évoquer leur amour. Je n’ai pas voulu faire une pièce de niche LGBT mais bien un état des lieux entre2008 et2014 qui raconte des choses qui parlent à tous.» Et Yann Verburgh est d’autant plus fier que sa pièce voyage dans des pays pas faciles comme la Turquie ou le Liban. À ses côtés, le metteur en scène roumain Eugen Jebeleanu a voulu « rendre ces histoires sensibles. Cela à travers deux ambiances: celle de la forêt qui en fait symbolise l’univers mental de Benjamin, ses peurs, tout ce qui le hante avec ces ogres qui le dévorent. Et il y a aussi un espace réaliste, l’intérieur simple du jeune homme. Les cinq acteurs doivent donner vie à trente personnages, par un jeu incarné où passe la vulnérabilité sans pathos, où s’incarne la dignité de ces gens qui sont des héros.» Et pour encore mieux souligner cela une musique a été composée dans l’esprit d’une bande originale de film.

source: http://www.paris-normandie.fr/region/rouen–une-piece-traite-de-l-homophobie-dans-le-monde-en-partant-de-la-normandie-CB13030929

Vaccin contre l’intolérance

Julien Avril – I/O Gazette -7 octobre 2017

crédit photo: Geoffrey FAGES

« Love is a losing game », disait dans sa chanson l’icône pop Amy Winehouse. C’est sur cette affirmation que s’ouvre « Ogres », pièce uppercut de Yann Verburgh, comme le constat d’une malédiction qui pèse sur la communauté homosexuelle pour qui l’amour est un jeu qui se joue à perte. Mais comme toujours au théâtre, la malédiction est là pour être conjurée. C’est donc une pièce de résistance qui nous est donc proposée ici. Un voyage qui va de la souffrance à la résilience.

Ce voyage, c’est avant tout celui de Benjamin, jeune professeur agressé, brûlé et laissé pour mort dans une forêt près de Rouen parce qu’il venait y rencontrer d’autres hommes. Son histoire, de l’agression jusqu’au procès, est le fil rouge autour duquel se tressent d’autres récits de violence aux quatre coins du monde. De la Russie au Brésil en passant par l’Iran et l’Europe de l’Est, ces vignettes, écrites à partir d’un travail de documentation, forment une mosaïque qui dessine le visage de l’homophobie contemporaine. Abomination pour les fanatiques religieux ou nouveaux boucs émissaires pour détourner le regard du peuple d’autres enjeux sociaux, politiques ou économiques, chaque épisode agit comme un petit précipité dramatique qui met en lumière telle ou telle problématique de la persécution des homosexuels.

Cette dramaturgie en montage qui nous fait passé sans cesse d’un espace à l’autre ou d’avant en arrière dans le temps, et qui donne tour à tour la parole aux victimes et aux bourreaux, permet une rotation constante des points de vue dans des scènes souvent très violentes et très dures à recevoir. Ces allers-retours traduisent la dynamique d’un rapport de force mondialisé autour de la place des homosexuels, l’obscurantisme gagnant du terrain à tel endroit du globe lorsque la tolérance progresse à tel autre endroit.

Mais si la pièce propose cet état des lieux, elle s’engage aussi dans la bataille. Et pour cela elle utilise l’un des outils les plus puissant du théâtre, l’identification. Autrement dit l’empathie. Quelle meilleure arme pour lutter contre l’exclusion que d’amener le spectateur à se reconnaître en l’autre. Yann Verburgh sculpte le drame réaliste avec une précision d’orfèvre tandis que la mise en scène d’Eugen Jebeleanu fabrique des images sonores et visuelles saisissantes. Les acteurs sautent d’un personnage à l’autre avec toujours beaucoup de justesse et de simplicité. On sort aussi bouleversé qu’essoufflé d’avoir vécu par procuration chacun de ces destins, tragiques souvent, mais aussi porteurs d’espoir.

On pourrait souhaiter plus de recul dans le traitement du sujet, mais ce théâtre-là ne souffre pas de distanciation. Élaborée en réaction aux débordements de la Manif pour tous, il se pense autant comme un mécanisme d’auto-défense de la part d’une communauté opprimée que comme une tentative de rassemblement par la représentation. Un vaccin. Une frappe préventive, à l’abri des murs du théâtre, pour nous rappeler que chacun à le droit de jouer le jeu d’amour qui lui plaît.

SOURCE: http://www.iogazette.fr/critiques/creations/2017/vaccin-contre-lintolerance/
Publié le 07/10/2017 sur I/O Gazette par Julien Avril

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Des ogres et des proies

Ogres (résumé ici) est un spectacle écrit par Yann Verburgh, mis en scène par Eugen Jebeleanu.

Homophobies en fiction

On peut dire que le travail de documentation qui a précédé et accompagné l’écriture d’Ogres, (plus de 300 témoignages de violences homophobes, collectés dans le monde entier par l’auteur) marque le spectacle du sceau de la réalité. La fiction s’insère naturellement et se tisse dans ce spectacle « dit de » théâtre documenté.

Eugen Jebeleanu insiste sur la volonté de la Compagnie des Ogres de proposer une ouverture à la réflexion pour tous : la démarche artistique de l’équipe devait s’inscrire, avant même de débuter les répétitions, dans un désir commun de s’adresser à n’importe quel spectateur, qu’il ou elle soit concerné(e) « ou non » par la cause LGBT/QIA. Pari réussi.

Quand on les interroge sur leur manière d’aborder les changements constants de personnages auxquels ils et elles doivent faire face tout au long de la pièce, les acteurs d’Ogres affirment qu’ici plus qu’ailleurs « la situation prime sur l’incarnation ». Chacun devient victime, bourreau, puis redevient victime, sans que jamais une marche ne soit ratée, un enchaînement négligé.

Des récits au conte

Le bois, la nuit sont omniprésents dans Ogres et constituent à eux deux autre chose qu’unités de lieu ou de temps : ils sont un personnage à part entière.

Á la fin du spectacle, un adolescent (de nationalité russe : la pièce parcourt une réalité sombre et universelle) s’enfonce dans cette entité, ce bois franchement lugubre. Le « petit » vit embourbé dans une existence faite de tortures répétées et d’humiliations : il court entre les arbres, après l’assistante sociale de son lycée – tout en essayant de fuir ses propres ogres. Ce n’est qu’un enfant : il demande de l’aide, à une adulte de son entourage. L’interlocutrice une fois rattrapée par l’ado rappelle alors, entre autres gentillesses, qu’elle n’a légalement pas le droit de parler d’homosexualité avec un mineur. La pièce est faite de ça : de pistes, de petits cailloux laissés sur le chemin de la réflexion personnelle du spectateur.

Ailleurs, moments autres, une fée, une « diva » – dira une jeune spectatrice à l’issue de la rencontre – apparaît à plusieurs reprises. Vêtue de robes à paillettes, la jeune femme chante merveilleusement et vient apaiser les tourments du spectateur, lui offrant un peu de cet oxygène qui manque par moment. Eugen Jebeleanu dira de cette apparition (appelons-la comme ça), qu’elle est une référence au conte – essentiel dans sa réflexion et son propos artistique comme dans ceux de Yann Verburgh. La balance entre imaginaire (rêve ou cauchemar) et réalité oscille, passant de l’un à l’autre, selon un même battement que celui par lequel les acteurs d’Ogres deviennent tour à tour bourreaux puis victimes.

La présence répétée de cette femme « magique » qui erre – comme chacun – au coeur de la forêt nous évoque ces êtres doux, celles et ceux qui sentent bon l’amour « et la fleur d’oranger ». Car si, dans notre monde, les ogres existent (aucun doute là-dessus) les gens magiques qui peuplent nos quotidiens et nos nuits existent tout autant. Ce spectacle nécessaire nous rappelle aussi cela, à chaque instant.

Ogres – édité chez Quartett – avec Gautier Boxebeld, Clémence Laboureau, Radouan Leflahi, Ugo Léonard et Claire Puygrenier  – est prochainement programmé en Roumanie et en tournée en France.

SOURCE: https://3615malm.com/2017/10/07/ogres-proies/
Publié par MALM, sur son blog 3615malm, le 07/10/2017

Ogres met K.O l’homophobie

Il est de ces spectacles coup de poing qui vous flanquent un uppercut dans le ventre en sortant de la salle. Ogres vous retourne effectivement les tripes. Yann Verburgh exacerbe la violence presque insoutenable d’exactions homophobes survenues aux quatre coins du globe. Sans aucun pathos, Eugen Jebeleanu met en scène cette parole et ces gestes qui broient à force de se banaliser avec une distance paradoxalement très proche de nous. On éprouve une immense empathie pour ces êtres marginalisés. Bouleversant.

À quoi pourraient bien ressembler les ogres en 2017 ? Loin des géants anthropophages à la Perrault, les monstres d’aujourd’hui se fondent dans la foule et peuvent impunément commettre leurs méfaits. Par un enchaînement de saynètes, Ogres expose à vif la brutalité de nos sociétés vis-à-vis des homosexuels et prouve que ce fléau a contamineé absolument toute la planète. Pensons à ce lycéen américain qui tue un garçon amoureux de lui après en avoir reçu une lettre enflammée ou bien à cette lycéenne ougandaise honteusement outée dans un journal local et condamnée à l’exil. Ou encore à cette lesbienne rejetée par sa mère et qui consigne dans un carnet rose toutes les injures dont elle a été victime. Autant de micro-situations qui combinées entre elles provoque inconstablement un sentiment de malaise et de rage. Une seule idée en tete nous habite : nous lever et invectiver tous ceux qui culpabilisent, frappent, déshumanisent et condamnent des gens pour leur orientation sexuelle.

Ogres est un spectacle très intense, qui ne nous laisse pas le temps de nous remettre de nos émotions. Cette surenchère impitoyable dans la cruauté brouille les frontières entre réalité et fiction. On ne sait jamais si ce sont des histoires vécues ou non et finalement peu importe car on demeure exsangue quand le rideau tombe. Deux histoires s’avèrent filées au cours de cette narration complètement fragmentée : celle d’un instituteur laissé pour mort alors qu’il se rendait dans un bois pour flirter  ; sa rencontre avec un militant LGBT et ses confidences qui affleurent ; et celle à rebours de deux amants iraniens qui vivent leur amour cachés…

La forêt, élément symbolique puissant, évoque l’interdit, le danger, l’inconnu, les pulsions sexuelles… Uu endroit interlope, sauvage et accueillant au double visage. La scénographie de Velica Panduru crée un espace hors du temps aux allures de conte inquiétant et vaporeux. Un moyen, tout comme les récits de notre enfance, d’universaliser intelligemment les propos.

Love is a losing game
La troupe convoquée sur le plateau se donne corps et âme pour incarner tour à tour bourreaux, victimes et témoins. Ils rendent palpables cette fameuse « zone grise » théorisée par Primo Levi dans laquelle il est difficile de tracer une frontière entre les bons et les coupables. Ils ont tous cette sensibilité à fleur de peau qui donne envie soit de les frapper, soit de les protéger. Clémence Laboureau (à la sublime voix rocailleuse, déchirante), Claire Puygrenier, Ugo Léonard, Radouan Leflahi et Gauthier Boxebeld débordent de générosité. Ce sont de grands comédiens.

Si le constat semble amer, force est de constater que des lueurs d’espoir peuvent s’échapper de cette obscurité sans fond. Le jeune Russe Luka, par exemple, qui refuse de baisser la tête et revendique haut et fort ce qu’il est, malgré la pression de son entourage. Un moyen de nous rappeler que même si l’homophobie continue de sévir avec obstination, c’est en poursuivant le combat que les préjugés s’écrouleront. Quand le théâtre accomplit sa catharsis avec brio… ♥ ♥ ♥ ♥

OGRES de Yann Verburgh. M.E.S d’Eugen Jebeleanu. Théâtre Ouvert. 1h25. 01 42 55 55 50.

© Geoffrey Fages

SOURCE: https://hierautheatre.wordpress.com/2017/10/04/ogres-met-k-o-lhomophobie/
Hier au Théâtre, le 04/10/2017

120 nuances d’homophobie

Ogres – La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon – janvier 2017

Au Théâtre Ouvert, la Compagnie des Ogres plonge dans le ventre de la bête homophobe. Doté d’une belle dimension artistique, leur spectacle est une des pépites inattendues de cette rentrée théâtrale.

Yann Verburgh et Eugen Jebeleanu organisent un tour du monde à la fois grave et singulier. De Rouen à Kampala, de Sao Paulo à Sotchi, l’auteur et le metteur en scène d’Ogres révèlent les différentes facettes de l’homophobie. Politiquement et/ou religieusement institutionnalisée en Russie, en Iran ou en Ouganda, criminelle au Brésil où un homosexuel est tué toutes les 28 heures, quotidienne sur bon nombre de lieux de travail, elle se matérialise différemment mais toujours avec la même violence pour les personnes visées, attaquées et meurtries dans leur cœur et parfois même dans leur chair.

En guise de fil rouge est contée l’histoire de Benjamin. Jeune instituteur rouennais, il est sauvagement agressé par trois hommes qui lui tendent un guet-apens sur un lieu de drague. Violé puis brûlé vif, il en réchappe miraculeusement et tente de se reconstruire avec l’aide de Yoan, un jeune militant associatif pour les droits LGBT. Autour d’eux, se greffe un patchwork d’histoires mêlant bourreaux et victimes, proches et famille, avec à chaque fois le même but : dévoiler la face humaine d’un fait sociétal trop souvent décrit à grand renfort de données chiffrées qui désincarnent le phénomène.

Parfois un brin didactique dans les dialogues, le texte de Yann Verburgh n’en traduit pas moins une compréhension très fine du sujet grâce à une palette de situations simples mais extrêmement nuancées. Sensible, il est servi par la belle brochette de comédiens de la Compagnie des Ogres parmi lesquels Radouan Leflahi, véritable caméléon, se distingue particulièrement. Par leur jeu intense mais toujours juste, certaines scènes deviennent touchantes, voire franchement glaçantes. En équilibre, ils ne tombent jamais dans les travers d’un jeu psychologisant qui pourrait tourner au pathos.

Surtout, la mise en scène d’Eugen Jebeleanu fait mouche. Sous-tendue par l’intéressante création sonore de Rémi Billardon et orchestrée dans la remarquable scénographie de Velica Panduru – dont la forêt ressemble comme deux gouttes d’eau à celle d’Anne Teresa de Keersmaeker dans La Nuit transfigurée –, elle n’est pas sans rappeler la construction dramaturgique de Joël Pommerat – à l’époque d’Au monde ou de La Réunification des deux Corées –, la rythmique scénique de Julien Gosselin dans 2666 ou la sensibilité voilée et géographiquement identifiée de Caroline Guiela Nguyen dans le récent Saïgon. Melting pot d’inspirations, elle permet au spectacle de ne pas en rester au stade d’outil de prévention salutaire mais de se transformer en un vrai et bel objet théâtral.

Ogres
Mise en scène : Eugen Jebeleanu
Texte : Yann Verburgh
Jeu : Gautier Boxebeld, Clémence Laboureau, Radouan Leflahi, Ugo Léonard, Claire Puygrenier
Son : Rémi Billardon
Scénographie : Velica Panduru
Administration, production : Eva Manin
Production : Cie des Ogres
Coproduction FATP – Fédération d’Associations de Théâtre Populaire, Théâtre Ouvert Cndc, L’Étincelle – Théâtre de la ville de Rouen
Avec le soutien de l’Adami, de la Spedidam, de la Chartreuse Cnes de Villeneuve lez Avignon, du Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis, du JTN – Jeune Théâtre National, de Confluences – lieu d’engagement artistique, de la Compania 28 et du Festival Temps d’Images de Cluj (Roumanie)
Cette oeuvre a bénéficié de l’aide à la production et à la diffusion du Fonds SACD Théâtre
Texte lauréat de l’Aide à l’écriture de l’association Beaumarchais-SACD, de l’Aide à la création du CnT – Centre national du Théâtre et de l’Aide à la publication du CNL – Centre National du Livre
Remerciements Maison des Auteurs de la SACD, la Compagnie KonfisKé(e)
Durée: 1h20

8 février 2017, 20h – Théâtre Gérard Philipe, Orléans
18 février 2017, 20h30 – Atrium, Dax
23 février 2017, 20h15 – Auditorium Pitot, Site du Pont du Gard, Vers-Pont-du-Gard
24 février 2017, 20h45 – Espaces Culturels, Villefranche-de-Rouergue
28 février 2017, 20h30 – Théâtre de la Maison du Peuple, Millau
1 mars 2017, 20h30 – Théâtre des Ateliers, Aix-en-Provence
21 mars 2017, 20h – Théâtre de l’Odéon, Nîmes
23 mars 2017, 20h30 – Salle Georges Brassens, Lunel
25 mars 2017, 20h45 – Théâtre Na Loba, Pennautier
30 mars 2017, 20h30 – Auditorium de La Louvière, Epinal
Du 22 septembre au 7 octobre 2017 inclus – Ogres à Théâtre Ouvert cndc, Paris (relâche le dimanche 24 septembre, dimanche 1er et lundi 2 octobre)

SOURCE : critique de Vincent Bouquet, le 26 septembre 2017 sur SCENEWEB.FR
LIEN VERS L’ARTICLE ORIGINEL : http://www.sceneweb.fr/ogres-de-yann-verburgh-dans-une-mise-en-scene-de-eugen-jebeleanu-un-voyage-au-coeur-de-lhomophobie/

Enregistrer

Plongée au cœur de l’homophobie

Ogres à Théâtre Ouvert – 18 novembre 2015

 

Traiter de l’homosexualité, et son corollaire l’homophobie, au théâtre, est un exercice toujours délicat, parfois périlleux, et plutôt rare, dans la mesure où le spectacle vivant exacerbe sur scène les rapports humains. Au cinéma, la distanciation entre acteurs et public rend la tâche plus aisée.

Le metteur en scène roumain Eugen Jebeleanu s’est emparé du texte de Yann Verburgh, « Ogres », et l’a porté sur scène. Créé fin janvier à Villeneuve lez Avignon, Orléans était la première étape de la tournée de la compagnie, invitée par l’ATAO, adhérente à la FATP (Fédération d’Association du Théâtre Populaire).

Le texte-choc de Verburgh est une suite de témoignages, de Paris à Téhéran, de Sotchi à Kampala, et surtout de Rouen où en 2009, un jeune instituteur, Benjamin (Jérémy en réalité), est laissé pour mort dans sa voiture incendiée, témoignages racontant les horreurs générées par la haine de l’homosexualité. Ce texte est une plongée au cœur de la bêtise humaine, la plus abjecte, la plus répugnante, qui consiste à s’en prendre à ceux qui sont différents, ici l’orientation sexuelle. L’histoire de Benjamin sert de fil conducteur au texte de Verburgh : fréquemment sur scène (on débute et on termine avec lui), avant et après le procès de ses bourreaux, il refuse toute récupération d’où qu’elle vienne, mais ne parviendra pas à reprendre la classe.

Jebeleanu a confié à 5 jeunes acteurs, le soin de raconter l’indicible horreur, trois hommes, deux femmes, mais peu importe le sexe, les rôles étant interchangeables. Chacun joue parfaitement juste, s’exprime d’une voix claire (ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui), sans en faire trop dans la démonstration, mais assez pour créer l’émotion. Jebeleanu et son équipe ont su parfaitement maîtrisé le texte, avec un décor en deux temps, une musique sourde, lancinante, c’est du très beau travail qui mérite amplement une tournée dans toute la France.

Ceci dit, est-ce faire théâtre que raconter une litanie d’horreurs ? La question mérite d’être posée. Personne n’a évidemment de réponse, et il ne m’appartient pas d’en apporter une. Toutefois, un second volet aurait mérité d’accompagner ces témoignages, suscitant réflexion et débat. Certes, on m’objectera que le matériau brut proposé par Verburgh est à même de remplir cette tâche. Dans un sens, oui. Mais il serait fort dommage que la seule compassion soit au rendez-vous du public.

Quoi qu’il en soit, voilà un spectacle à voir pour le thème qui ne saurait mériter l’indifférence, la mise en scène et le jeu des acteurs. Citons-les, ils le méritent : Gautier Boxebeld, Claire Puygrenier, Radouan Leflahi, Ugo Léonard et Clémence Laboureau, cette dernière à la très belle voix.

SOURCE: http://montetraslyre.blogspot.fr/2017/02/plongee-au-coeur-de-lhomophobie.html

Enregistrer

Enregistrer

Lunel : l’homophobie pointée du doigt sur la scène de Brassens

Ogres – Théâtre Gérard Philipe d’Orléans – 8 février 2017

Les Associations de théâtre populaire (ATP) reçoivent jeudi 23 mars la compagnie des Ogres de Meudon.

« Ogres », de Yann Verburgh, est une pièce qui a la particularité d’avoir été sélectionnée et aidée par la Fédération d’associations de théâtre populaire (FATP). Elle est donc jouée dans toutes les ATP du pays. Choisi parmi une soixantaine de projets, celui-ci a su interpeller le jury, comme l’explique la présidente des ATP de Lunel, Anne Taraud : « C’était la plus convaincante, un texte bouleversant, une mise en scène originale… Et nous avons surtout été impressionnés par le courage qu’il faut pour porter ce message ».

Tabous et incompréhension

Il est vrai qu’en programmant « Ogres », les ATP ont vu l’opportunité, et la nécessité, de mettre des mots sur un sujet encore gonflé de tabous et d’incompréhension, l’homophobie. L’idée de cette pièce est venue à l’esprit de Yann Verburgh en 2013. Le projet de loi autorisant le mariage aux couples de même sexe vient alors d’être voté, et représente une avancée extraordinaire pour la communauté LGBT française.

Mais dans le même temps Yann Verburgh est choqué d’apprendre que les agressions homophobes s’intensifient. Il décide donc de se renseigner plus en profondeur sur les mauvais traitements réservés en France et dans le monde entier aux homosexuels. Il résume : « Il n’y a pas de mots pour qualifier ce que j’ai trouvé, même si on peut parler d’intolérance, de violence, de discrimination, de crime de haine, de barbarie ou d’horreur ». Et, comme pour évacuer toutes ces tragédies, il prend la plume et décide de raconter le pire tout en injectant un message d’espoir : « Au milieu de l’horreur surgit l’amour ».

Les ogres, métaphore de la peur

Le public retrouvera donc Benjamin, jeune instituteur homosexuel. Il vient de se faire agresser et d’être laissé pour mort dans une forêt de Normandie. Traumatisé, bien sûr, Benjamin doit faire face à ses ogres : « Les ogres sont la métaphore d’une peur et d’une souffrance, explique Yann Verburgh. Celles de Benjamin et celles des autres victimes. Ils sont la représentation d’une cruauté, celle de la bouche, du stade oral, du verbe, jusqu’à la barbarie, jusqu’au sang, jusqu’au meurtre, jusqu’à l’horreur ».

Tout au long de la pièce, les spectateurs entendront la voix des ogres, celle des parents des victimes, des âmes en souffrance. L’auteur propose une pièce qu’il définit comme du « théâtre documenté » qui s’inspire de la situation des homosexuels dans 14 pays différents, et illustre 28 scènes. Et toujours, en fil rouge, Benjamin, cet instituteur qui souffre et cherche la résilience. Le public le suivra de son agression jusqu’au jour du procès. « Bien sûr que cette pièce est triste, dramatique, précise Anne Taraud. Mais elle a aussi une raison d’être, elle peut ouvrir le débat. C’est en tout cas notre démarche ».

SOURCE: Midi Libre Lunel, édition du 22/03/2017
Consultez la version en ligne ici.

Enregistrer